samedi, mars 03, 2012
message de GUY CARLIER transmis par ERIC M
Papy fait de la résistance
Ce soir-là, je zappais d’une chaine à l’autre, passant de
la cohue accueillant Jean Dujardin à Charles de Gaulle
comme un quelconque DSK, à un paquebot devenu galère aux
Seychelles, quand je suis soudain tombé sur l’image du mot
« Résistance » écrit à la peinture rouge sur le goudron
d’une allée d’usine, un peu comme les crétins écrivent le
nom de leurs héros dopés sur les routes du tour de France.
Je cessais de zapper, me demandant quel démago avait
encore pris ce mot en otage comme Christine Boutin,
affirmant « j’entre en résistance » avant de redevenir
collabo-sarkoziste.
Sous le mot résistance, en bas de l’écran je vis
s’inscrire : ArcelorMittal Florange. Florange !… c’est peutêtre
un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire
beaucoup, car c’est là que je fis mes premiers pas sur
scène, mais non, je ne fais pas de la promo, c’est juste
pour vous dire l’émotion que provoque en moi ce nom :
Florange. Je ne suis pas prêt d’oublier ces gens qui vinrent
me voir à la fin du spectacle dans la cafétéria du théâtre
de la Passerelle à Florange.
Leur visage avait la noblesse des humbles, avec ces
rides qu’ils n’avaient pas le moyen de botoxer, avec cette
marque du casque qui a tracé un labour circulaire sur leurs
cheveux. La trace du casque c’est le scalp de la classe
ouvrière que volent des actionnaires. Un qui ne risque pas
d’être marqué par un casque d’ouvrier, c’est Villepin que j’ai
vu l’autre jour, à la télé visiter une aciérie.
Il avait coiffé un casque de chantier, mais comme il
avait laqué à mort son brushing pour qu’il reste impeccable,
le casque semblait flotter dans l’espace à 20 cm au-dessus
de son crâne, on aurait cru le gars des Village people
déguisé en ouvrier du bâtiment. D’ailleurs, il parait qu’en le
voyant déambuler dans l’aciérie, les ouvriers lui
demandaient, ils ne sont pas venus les autres du groupe,
l’indien, le flic et le cow-boy ?
Mais revenons à Florange. Je ne vous fais pas du Zola,
car ces gens qui venaient me voir à la cafétéria de la
Passerelle étaient heureux. Certes, ils vivent dans un
environnement aussi triste qu’un dimanche de Toussaint
pluvieux chez Alain Juppé mais chaque week-end, ils
venaient dans ce théâtre. Ils me racontèrent Annie
Girardot, Jacques Higelin ou Guy Bedos et ils disaient à
quel point le lundi matin, à l’heure de l’embauche, dans les
fumées des hauts fourneaux, le souvenir des vannes de
Bedos les aidait à coiffer leur casque à la con.
Mais aujourd’hui, Monsieur Mittal a d’autres projets, et
il n’y a plus de lundi matin dans les fumées des hauts
fourneaux. Ça signifie que bientôt, il n’y aura plus de
théâtre, car comme pour les rides, les dents et les
cheveux, les gens de Florange n’auront plus les moyens de
s’offrir des soins intellectuels. Ces gens qui avaient la
dignité de travailler vont se retrouver sans emploi. Ces gens
qui avaient la dignité de se cultiver et de se divertir vont
se résigner à regarder TF1 en mangeant des chips de chez
Leader Price.
J’ai reçu un appel au secours de la Passerelle. Car les
salariés d’ArcelorMittal après avoir vu tant de comiques
politiques leur faire un numéro de clowns ont besoin
aujourd’hui du soutien d’humoristes professionnels.
On me dit que tous ceux qui ont été sollicités ont
répondu présent, oh bien sûr, vous avez parmi eux quelques
rares Tartuffes qui se sont contentés d’un vague sms de
soutien dont ils feront grande publicité sur twitter pour
remplir leurs salles, mais vous avez les autres, et puis
surtout vous avez Bedos !
Guy Bedos qui viendra à plus de 75 piges, rencontrer
les ouvriers d’ArcelorMittal (lundi 12 mars prochain). Cet
homme-là a joué, il n’y a pas si longtemps, une pièce de
Brecht qui s’appelle la résistible ascension d’Arturo Ui.
C’était une parabole sur la montée des fascismes, quels
qu’ils soient. Bedos va venir à Florange, parce que la
mondialisation est la nouvelle forme que prend la bête
immonde. Parce qu’il ne veut pas qu’à Florange on puisse
dire : quand j’entends le mot culture, je ferme les hautsfourneaux.
Alors, gens de Florange, syndicalistes, ouvriers,
employés ou intellectuels (ce n’est pas un gros mot, sauf
pour Olivier Py), accueillez Guy Bedos comme il se doit.
J’imagine qu’il n’aimera pas le titre de cette chronique qui
est j’en conviens, une facilité. Car cet homme n’est pas un
papy. Dans son spectacle, il raconte qu’il a pris conscience
avec angoisse qu’il pourrait être le père de Christine
Lagarde. Avec cette simple phrase, on comprend qui est le
papy et qui est la mamie. Bedos n’est pas un papy. C’est un
héros. Un héros de la classe ouvrière.
Guy Carlier
P.S. : Comme j’essaie de ne pas faire partie des rares Tartuffes
dont je parle plus haut, je m’engage, et c’est la moindre des
politesses, à envoyer le montant de la pige de cette chronique aux
syndicats d’Arcelor, qui j’en suis sûr, feront le meilleur usage de
cette modeste obole.
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